"Territoires zéro chômeur de longue durée" : de l'utopie à la (future) loi
Dans la salle Colbert de l'Assemblée nationale, ce 15 septembre, il y avait comme un sentiment de grande satisfaction. Les gens se saluaient chaleureusement, le sourire était de mise. Et pourtant, le sujet - la lutte contre le chômage de longue durée - ne s'y prêtait pas forcément. Dans un pays qui compte environ 6 millions de chômeurs (toutes catégories confondues), difficile d'avoir le coeur à la fête. Les 250 personnes présentes ce jour-là à l'invitation du mouvement ATD Quart Monde venaient célébrer un événement assez rare dans notre pays : la construction d'un texte de loi directement issu du combat associatif et de la force de conviction de ses militants.
Même si le mouvement qui porte la parole des exclus en s'inspirant du père Joseph Wresinski n'aime pas trop les vedettes, il faut bien dire que cet événement sous les ors de la République n'aurait pas pu se tenir sans la ténacité d'un homme, Patrick Valentin. Ce militant angevin, fortement impliqué dans des expériences de retour à l'emploi des chômeurs, a depuis de nombreuses années la conviction qu'on ne s'y prend pas très bien pour lutter contre ce mal qui ronge notre société. Interrogé par tsa en mars 2013, il racontait que ce projet était né de sa propre expérience. "Voici une quinzaine d'années, expliquait-il, nous avions, avec une association d'aide aux chômeurs, mené une expérience sur une commune de 2 000 habitants de la région d'Angers. Nous avions recensé tous les chômeurs de longue durée de la commune, les avions reçus pour connaître leurs compétences et leurs désirs professionnels. Sur 80 personnes, 59 étaient immédiatement opérationnelles." Donc pas question de pactiser avec l'idée selon laquelle une bonne partie des chômeurs de longue durée ne peuvent plus retrouver un boulot ! S'ils sont accompagnés de façon individualisée et adéquate, la majorité d'entre eux, voire tous, sont en capacité de retrouver du travail.
Sauf que du travail, il n'y en a pas, nous assurent certains spécialistes. C'est sans doute un plus compliqué que cela, répond ATD Quart Monde. S'appuyant sur sa propre expérience, Patrick Valentin expliquait en 2013 que sur les territoires, il existe des gisements d'emplois dans l'environnement, les services à la personne, etc. Le discours n'est pas nouveau car tous les emplois d'utilité publique qui se sont succédé depuis une vingtaine d'années ont repris cette antienne. ATD amène dans la réflexion un élément nouveau : les choses doivent se construire à partir des territoires en mobilisant tout le monde (élus, associatifs, entrepreneurs, travailleurs sociaux...) autour d'un projet collectif. En clair, on n'attend plus les directives des directions centrales du ministère de l'emploi pour lancer des "programmes d'action". On se met autour de la table avec la volonté partagée de s'attaquer au cancer de l'emploi de longue durée et on identifie des besoins sociaux qui devraient être satisfaits par ces nouveaux emplois.
La mobilisation des territoires ne s'arrête pas là. Elle doit permettre de mettre au centre de la démarche les chômeurs eux-mêmes. Ce sont eux qui, lors de l'accompagnement individualisé qui leur est proposé, vont exprimer leurs envies et révélé leur savoir-faire. Cette démarche est déjà expérimentée sur quatre territoires plutôt ruraux : Ille-et-Vilaine, Deux-Sèvres, Nièvre et Meurthe-et-Moselle. Et elle commence à produire des effets. Au vu de l'importance de l'enjeu, certains élus mettent leur drapeau dans la poche pour travailler ensemble très concrètement. Lors du colloque du 15 septembre, un élu socialiste du territoire breton expliquait que la mobilisation autour de "Territoires zéro chômeur de longue durée" lui a permis de travailler en lien direct avec le maire de la commune principale d'une tendance différente. Au Grand Mauléon, dans les Deux-Sèvres, le débat lors des municipales de 2014 a tourné autour du projet défendu par ATD. Le vainqueur de l'élection a repris l'idée défendue par son challenger et le territoire s'est engagé dans la dynamique.
Mais toute cette effervescence locale ne peut déboucher que si des budgets sont dégagés pour financer, au moins partiellement, ces activités nouvelles. Car le pari "Zéro chômeur de longue durée" est ambitieux : proposer des contrats à durée indéterminée (CDI) sur la base d'un Smic. On est donc très loin des contrats aidés classiques avec une durée et un niveau de rémunération limités. La CGT, la CFDT et le Mouvement national des chômeurs et des précaires (MNCP), invités lors du colloque, ont salué cette orientation de nature à sortir les chômeurs de la précarité et des salaires de misère.
Un petit groupe de députés (1), mené par le jeune et influent député socialiste de la Côte d'Or Laurent Grandguillaume, a repris à son compte ce projet et a bataillé pour que la proposition de loi soit retenue par le groupe PS. "J'ai eu le soutien de Claude Bartolone, Bruno Leroux (2) et du président de la République", assure l'élu bourguignon que certains avaient cité pour succéder à François Rebsamen au ministère de l'emploi. Certains hiérarques du ministère de l'emploi ont été les plus durs à convaincre, eux qui ne jurent que par des dispositifs nationaux venus d'en haut.
Le rapporteur de cette proposition de loi l'a dit le 15 septembre : il va être auditionné prochainement par le Conseil économique, social et environnemental (Cese) et le texte pourrait être présenté en première lecture à l'Assemblée fin novembre. La dégradation continue du marché de l'emploi (et la proximité des élections régionales) pourraient d'ailleurs favoriser une accélération du calendrier.
Et si la loi entre en vigueur courant 2016, que se passera-t-il ? Va-t-on généraliser la démarche à toute la France ? Ce n'est pas l'esprit du projet, expliquent ses animateurs. Il faut d'abord partir du volontarisme des territoires et de l'envie des acteurs de travailleur ensemble. Et ce ne sera pas une partie de plaisir là où tous se regardent en chien de faïence, où les rivalités de personnes l'emportent sur les dynamiques collectives.
Pour que la logique du développement local essaime, il faudra également que l'information parvienne à tous les acteurs locaux, notamment pour dissiper les craintes d'une concurrence avec les emplois existants. Et sur ce plan, y'a du pain sur la planche ! La responsable de la CGT Agnés Naton expliquait, lors du colloque, que les équipes locales de son syndicat présentes sur les quatre lieux d'expérimentation n'étaient pas au courant de cette démarche. La route est donc encore longue, mais les choses semblent plutôt bien engagées.
(1) D'autres députés socialistes ont été très actifs sur ce dossier comme Dominique Potier (Meurthe-et-Moselle), Jean-René Marsac (Ille-et-Vilaine) et Sophie Errante (Loire-Atlantique).
(2) Respectivement président de l'Assemblée nationale et du groupe socialiste